dimanche 16 mai 2010

Je n'arrive pas trop à m'y faire

Hier midi, finalement pas trop de monde à Rose Bakery*, et dans la vitrine conséquemment pas encore dévalisée, j'ai observé l'alignement gourmand d'un cake aux framboises, d'un cake au thé vert ET aux framboises, d'un cake au citron, d'un marbré au chocolat, d'un cheesecake (immense, bien lisse), de leurs petits carrot cakes (épais et cylindriques, bien glacés), des scones à profusion dans leur saladier transparent, des tartes aux marrons, des tartes aux fraises, des tartes au citron.
J'en avais déjà la tête qui tournait.
Au-dessus d'un jus orange-banane-framboise, nous établissions le programme de l'après-midi. Dans la file d'attente qui n'a cessé de croître après notre arrivée, deux garçons se plaignaient autour de l'inexistence d'une "formule brunch" (?), deux copines hésitaient à déserter les lieux en faveur d'un japonais pas très loin, une jeune femme avec un chignon sur le côté a finalement décidé de prendre à emporter (des asperges vertes avec du parmesan et une micro tranche de cake aux framboises).
J'ai résisté à l'appel du morceau de pain beurré rituellement servi pour patienter, et je ne l'ai pas regretté quand une serveuse à longue tresse a posé devant moi une assiette d'oeufs brouillés avec un scone au fromage et de la ratatouille. Le tout était bien chaud, bien assaisonné et offrait une alternance de textures très agréable.
J'avais presque terminé mon assiette, j'écoutais G. établir une certaine théorie sur la roquette, quand j'ai senti un regard sur moi parmi les gens qui quittaient la file d'attente pour rejoindre une table dans le fond de la salle. J'ai levé les yeux et là, à côté de moi, il y avait Vincent Delerm, sourire timide et grandes lunettes. Il a dit Bonjour, j'ai répondu Bonjour, et je me suis sentie très bête devant la dernière bouchée de cheese scone que je m'apprêtais à avaler. Puis plus rien, une disparition, une réapparition, un regard silencieux, un départ.
Je vous prie de m'excuser pour la futilité du propos mais si vous avez tout bien suivi, vous pouvez comprendre que j'ai eu par la suite quelques difficultés à me concentrer sur le choix du dessert.
(J'ai pris une tartelette aux fraises)
Plus tard, assis sur un banc en attendant qu'une robe trop grande soit ajustée à ma taille, j'ai essayé d'expliquer à G. pourquoi j'étais envahie d'une angoisse sourde mâtinée de tristesse. On s'est d'abord rappelé qu'il y a six ans environ, alors que je me lamentais sur le fait que Valérie Mréjen allait venir à Nantes et que moi qui adore son travail, bouh bouh, je n'allais pas pouvoir la voir, G. avait dit "Mais tu lui dirais quoi si tu la rencontrais?". J'étais restée muette. Alors là c'est pareil, l'expérience le prouve, qu'est-ce que je peux dire à Vincent Delerm?
Vous savez, j'écoute vos chansons tous les jours et j'aime bien la façon que vous avez de dire Des amis inséparables/Qui se sont séparés ou Bah moi je me reconnais beaucoup dans votre chanson qui parle de la file d'attente pour une séance d'Annie Hall parce que moi aussi je l'ai vu dans une micro cinéma de la rue Champollion la première fois. Bref, trop nul de toute façon.
Parce que ce que je voudrais vraiment lui dire ne tient pas en une phrase, ne peut pas durer juste une minute ni même trois. Mais qu'il est désespérément impossible de s'attendre à autre chose.

Demain, il sera question de cinéma, de livres et de shortbreads (au chocolat ou pas, rien n'est encore décidé).

*rue des Martyrs, celui que je préfère, parce que dans le troisième, j'ai le souvenir de voisins absolument inconsistants et vains et d'un service pour le moins minimal.

vendredi 7 mai 2010

Nous aimons bien cet endroit (et les biscuits fourrés au chocolat)

C'est à la fois un refuge et le lieu de toutes les fêtes (anniversaire en terrasse, l'été, concours réussis, chef-d'oeuvre au cinéma).
C'est le détour rapide en début de soirée pour voir ce qu'il y a à l'ardoise ce jour-là.
C'est la joie d'être saluée par les serveurs quand on passe dans la rue, juste comme ça (ou pour aller chez le coiffeur).
C'est l'observation discrète des livraisons de légumes dans leurs cageots en bois si l'on traverse le quartier tôt le matin.
C'est à deux minutes de la maison, juste à côté de la place du Calvaire (celui-ci étant pour moi de choisir un dessert).
Ma table préférée est au bord d'une fenêtre. En décembre, il y a un petit sapin, au printemps, un bouquet d'anémones ou de tulipes.
Le restaurant est divisé en deux salles. C'est dans la première, côté comptoir, que se passent les choses les plus intéressantes. Elle permet d'avoir une petite vue sur la cuisine (autour des salamandres et des poêles super lourdes, ça s'active sec) et offre un large panorama sur Marianne, qui lorsqu'elle ne s'agite pas au-dessus des gigots, des poulets rôtis ou des jambon à l'os, fait la conversation avec la série d'habitués qui dînent au comptoir derrière lequel elle arrose les viandes, les découpe, les dresse, avec amour, ou quelque chose comme ça. A 21heures, c'est le rituel quotidien, celui qui voit débarquer des visages familiers (libraire de bandes dessinées...), grands garçons seuls qui embrassent Marianne et trinquent illico. Le mystère plane sur cette troupe, où dînent-ils le week end quand le restaurant est fermé? D'une manière générale, on croise toujours un peu les mêmes silhouettes, des personnages du centre-ville, ceux qu'on reconnait au marché, à la boulangerie, ou fendant la place du Parlement à pas pressés vers des cabinets secrets. On assiste parfois à des micro-surprises, la marchande de papier coincée qui en est à son troisième verre, une petite fille à lunettes rouges qui réclame une bavette saignante, la longiligne épouse d'un musicien qui demande un peu plus de riz au lait.
Dans la deuxième salle... j'aurais du mal à décrire l'ambiance parce que nous n'y sommes jamais. J'ai fait l'erreur d'y emmener deux super amies, un soir où en plus Marianne n'était pas là... C'était moins bien, j'en suis désolée. Le pôle d'attraction me semble être la table des desserts qui dépend des promesses lancées par Marianne au moment du départ "Revenez demain je ferai de la tarte aux figues!" Je n'y ai jamais goûté mais sa tarte au citron et celle au chocolat sont assez terribles. Il y a aussi de la mousse au choco, du nougat glacé servi avec une sauce à l'orange, du gâteau aux noisettes, du clafoutis aux mirabelles et dans un grand saladier, des pruneaux au vin.
J'ai encore en tête un dîner mémorable où exceptionnellement, il y avait des plateaux de fruits de mer, proposés presque dans un chuchotement par une serveuse extra au moment où l'on contemplait les ardoises. Il y eut ensuite un moment d'agitation comique quand ils s'aperçurent qu'il n'y avait pas d'instrument adéquat pour goûter les bigorneaux. Moi je me régalais des langoustines, énormes, pile au moment Marianne a posé sur la table un morceau de beurre frais. Je me souviens aussi de soirées entières passées là-bas, à boire des vins délicieux (tous sont naturels et sont listés sur des cahiers d'écoliers), après trois desserts partagés. Les dîners hivernaux sont magnifiques à cause de leur purée qu'ils ne servent pas l'été, un modèle de volupté, le réceptable brûlant idéal pour le jus des rôtis.
C'est un endroit qui fait du bien, émousse toujours les chagrins.
Mardi soir, G. ne pouvait pas rester à la maison, le frigo était vide et j'avais le coeur triste (problèmes très compliqués au travail, il parait que je suis une vilaine fainéasse individualiste super nulle. La situation est absurde mais peut coûter cher. Je ne laisse évidemment rien transparaître devant les patients mais lorsque l'un d'eux me demande si je vais bien, je me mords la lèvre discrètement) alors hop, j'y suis allée. Accueil royal, comme d'habitude, décuplé par ma solitude que chacune entreprit de consoler même si je leur ai dit que je retrouverai G. dès le repas terminé. Ils m'ont installée au bout du comptoir, vue parfaite sur la cuisine. Les habitués discutaient avec le chef de la meilleure façon de préparer des pommes de terre sautées, les avis étaient partagés. On m'a apporté du filet de boeuf saignant comme je l'aime, tendre comme de la guimauve, délicieux avec de la moutarde. Et puis on m'a proposé un dessert, j'ai choisi la brioche perdue, servie tiède, renfermant des raisins secs et du rhum, épaisse comme un édredon et entourée de caramel de lait, bien frais. J'aurais pu en prendre une deuxième part.
Quelque chose que j'ai fait deux fois en une semaine et qui disparait en un clin d'oeil, ce sont les sablés fourrés au chocolat de Mingou! Les grignoter avec un verre de lait froid fut une activité aux vertus apaisantes. Tout comme découvrir que les renoncules blanches frangées de rose ont ouvert leurs pétales dans un petit vase, tout près du piano.


Les sablés fourrés au chocolat de Mingou
Pour une vingtaine de sablés
-250g de farine
-60g de beurre demi-sel coupés en petits morceaux
-120g de sucre blond
-1/2 sachet de levure chimique
-1 oeuf + 1 jaune pour badigeonner
-2CS de lait + 2CS pour badigeonner
-de la pâte à tartiner: alors là, c'est à vous de voir. Je pense que celle utilisée par Mingou (de la marque Rapunzel) est très bien parce qu'elle a un bon goût de chocolat noir mais pour en avoir ici, il faut prendre le bus, c'est toute une histoire. Du coup, j'en ai fait une première fois avec de la Chocolade (la pâte à tartiner de Jean Hervé) et c'était très bon mais la deuxième fois j'ai essayé avec du Nut-Nut et là, bien que je n'aime pas trop ça d'habitude, c'est absolument addictif!

Mélanger la farine, le sucre et la levure.
Ajouter le beurre et sabler du bout des doigts.
Battre l'oeuf avec le lait et verser dans le puits.
Amalgamer rapidement pour former un pâte qu'il faut filmer et laisser reposer au moins une heure au réfrigérateur.
Au bout de ce temps, étaler la pâte très finement sur une surface farinée.
Découper des cercles (je trouve que 3-4cm c'est bien).
Sur la moitié d'entre eux, déposer une grosse cuillère à café de pâte à tartiner puis refermer avec l'autre moitié des cercles. Bien souder les bords.
Dorer avec le mélange jaune d'oeuf-deux CS de lait.
Faire cuire une dizaine de minutes dans un four préchauffé à 180° (ça va assez vite).

Le Tire-Bouchon (un endroit où vous avez toutes les chances de me croiser le vendredi soir!)
2 rue du Chapitre à Rennes
02 99 79 43 43

dimanche 2 mai 2010

Y-a-t-il l'équivalent chez vous? -le sandwich au cochon laqué de ma maman-

Elle a l'habitude de raconter que, sur le chemin de l'école, elle aimait bien acheter ce genre de sandwich à un marchand ambulant qui faisait griller les morceaux de cochon sur un petit brasero. Il fallait faire attention de ne pas tâcher l'uniforme de classe bleu marine parce que de toute façon, c'était elle qui était préposée à la lessive, laquelle se faisait à la main à l'eau bouillante, au savon et à la planchette en bois.
Elle raconte aussi que le pain blanc, la baguette française, était une nourriture un peu chic, tout comme le lait, qui était réservé aux enfants quand ils sont malades. Pour sa part, elle aimait bien le lait concentré sucré et je l'ai souvent vue, pour des goûters en France, en faire couler sur du pain blanc, justement.
Elle dit aussi qu'au petit-déjeuner, elle avait un faible pour la soupe de riz avec du poisson séché, cette soupe de riz qu'elle préparait quand ce fut mon tour d'être parfois un enfant malade et que j'aimais avec des miettes de saumon et de la sauce soja.
Comme ma grand-mère, à qui j'ai toujours reproché (entre autres, la pauvre) de trop faire griller les viandes, sait comme personne faire les rouleaux de riz gluant farcis (banane ou soja/poitrine de cochon, le tout cuit à la vapeur dans des feuilles de bananier), les beignets au sésame et les gâteaux coco-potiron, tout ça, ma mère les lui laisse. En revanche, même si elle prépare des plats cambodgiens trop bons, elle a très vite développé un franc intérêt pour la cuisine française, ce qui s'est traduit par un visionnage curieux et amusé de La cuisine des mousquetaires et l'achat dès que cela fut possible, d'une cocotte en émail orange Le Creuset.
Alors qu'elle se moquait souvent du fait que je puisse trouver exaltant de manger une part de camembert sur son assiette retournée ("C'est un truc très français ça maman tu sais!") et que le lapin aux pruneaux reste un impossible, elle a très vite cherché comment faire des paupiettes, du boeuf aux carottes, de la ratatouille ou du poulet basquaise. Les poireaux-vinaigrette et les asperges-mimosa lui paraissaient presque cosmiques, ne parlons pas du hachis parmentier.
Je parle mal cambodgien (et je suis parfois un peu triste quand on me dit "Comme vous parlez bien français!"), mais je me souviens très bien des mots désignant toute nourriture. Le sandwich de ma maman pourrait se prononcer noum paing saink palak. Il est normalement composé de porc laqué avec des carottes râpées marinées, des tranches de concombre, de la ciboulette, du piment et de la sauce hoisin, mais ce jour-là à la maison, certaines choses manquaient. C'était pas mal quand même (bien que je n'aie évidemment pas retrouvé le goût de celui de ma maman)
C'est assez facile à faire en fait. Il faut préparer une marinade avec une gousse d'ail écrasée, 1CS de sel fin, 2,5CS de sauce Maggi, 3CS de sucre et du poivre du moulin. On frotte bien un morceau de rôti de porc dans l'échine avec cette préparation et on le laisse mariner pendant 24 heures en le retournant une fois.
Le lendemain, on le fait rôtir longuement, jusqu'à ce qu'il soit bien doré et caramélisé, en déglaçant régulièrement. Le mieux, c'est qu'il soit encore chaud quand on prépare les sandwiches.
Pour la salade de carottes, il faut faire chauffer dans une petite cassetole 6CS de sucre, 1CS de sel et 10cL de vinaigre de riz jusqu'à complète dissolution. Laissez refroidir pendant que vous râpez une botte de carottes (je prends la râpe gros trous) puis réunissez les dans un saladier avec la sauce. Laissez reposer une nuit au réfrigérateur puis goûtez et ajoutez sel ou sucre selon votre goût.
Il ne reste plus qu'à assembler le tout (et veillez à prendre de la bonne baguette! A Rennes, je suis assez adepte de la baguette Guillaume au levain de la boulangerie Hoche mais sinon, près de l'hôpital, il y a cette boulangerie incroyable rue de Paris où je me suis arrêtée ce matin pour prendre un pain à l'épeautre tout chaud, une brioche tressée dorée et moelleuse et des croissants, argh, G. a dit qu'il fallait absolument les inclure dans notre futur test de croissants à l'aveugle).
Voilà, vous savez tout sur le sandwich au porc laqué de ma maman, la fin d'un mythe donc! C'est vraiment le sandwich de mon enfance, qui console de tout, que ma mère préparait à l'avance pour moi en kit pour les mercredis matins passés seule à la maison (et j'avais bien du mal à attendre midi pour le dévorer, en général à dix heures et demi, j'étais déjà assise en tailleur sur mon lit à lui faire un sort).